Faute de registres d’état civil centralisés et informatisés, les organismes de gestion des élections africains réalisent actuellement des recensements électoraux biométriques pour établir la liste des électeurs admissibles. Les listes électorales africaines issues de ces recensements sont parfois la source de tensions préélectorales. Dans l’objectif de discuter de solutions menant à la confection des listes électorales de qualité, plusieurs organisations internationales ont travaillé de concert pour tenir « l’Atelier technique sur les registres d’état civil et les élections en Afrique ».
Un événement international d’envergure
Du 29 septembre au 1er avril 2016, l’International IDEA, la Commission de l’Union africaine, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le Réseau des compétences électorales francophones ont organisé conjointement un Atelier technique sur les registres d’état civil et les élections en Afrique, à Addis-Abeba, en Éthiopie. Cet événement international d’envergure a regroupé plus de 75 participants d’une trentaine de pays de l’Afrique francophone, anglophone, lusophone et arabophone. Il y avait notamment 13 institutions membres du RECEF qui étaient représentées, en provenance du Bénin, du Cameroun, de Djibouti, de la Guinée, de la Guinée-Bissau, de Madagascar, du Mali, de l’Île Maurice, du Niger, du Québec, de la Roumanie, du Tchad et de la Tunisie.
Contexte et objectifs de l’Atelier technique
Actuellement, avant chacune des élections nationales, la grande majorité des pays africains réalisent des recensements biométriques, qui sont généralement réalisés par des firmes internationales. Malheureusement, les listes électorales issues de ces recensements sont parfois contestées par les électeurs et les partis politiques. De plus, le contenu des listes électorales n’est pas mis à jour entre deux élections, ce qui oblige les pays à procéder à un nouveau recensement à chaque échéance électorale. Finalement, l’expertise nationale n’est pas développée dans ce processus, qui crée plutôt un lien de dépendance envers l’expertise et l’aide financière internationales.
Les principaux objectifs de l’Atelier technique étaient les suivants :
- rassembler les acteurs africains responsables des registres de l’état civil et de l’organisation des élections ;
- échanger sur les bonnes pratiques de constitution et mise à jour d’un registre national des électeurs ;
- réfléchir aux stratégies à développer pour assurer une meilleure synergie entre le registre d’état civil et le registre national des électeurs ;
- prendre connaissance des enjeux associés à la protection des données personnelles des registres administrés par l’État ;
- échanger sur les outils existants pour la consolidation et la gestion des registres d’état civil et des listes électorales.
Programmation de l’Atelier technique
Afin de répondre à ces objectifs, les organisateurs ont développé une programmation sur trois jours. Les deux journées d’échanges ont permis de dresser un état de la situation de la confection des listes électorales en Afrique, d’échanger sur les pratiques de différentes expériences nationales, et de discuter des opportunités et des limites de la biométrie.
Une troisième journée, coordonnée entièrement par le RECEF, proposait une formation permettant une appropriation des enseignements du Guide pratique de l’OIF pour la consolidation de l’état civil, des listes électorales et la protection des données personnelles, qui a d’ailleurs été traduit vers l’anglais afin de lui permettre de rayonner davantage. Afin d’assurer une formation complète, le RECEF a eu recours à l’expertise de trois formateurs spécialisés respectivement en état civil, en registre d’électeurs et en protection des données personnelles :
- Jean-Paul Alaterre (France) : De l’état civil au registre électoral ;
- Mme Dominique Martin (Québec) : Gestion permanente d’un Registre national des électeurs ;
- Chawki Gaddes (Tunisie) : La protection des données personnelles, préoccupation transversale à tout le processus.
Les faits saillants de l’Atelier technique
Les nombreuses présentations et les riches échanges qui ont suivi les six ateliers de discussion, ainsi que la formation de la 3e journée ont permis de tirer des enseignements des différentes expériences nationales, ainsi que d’établir un consensus sur les perspectives d’avenir et les solutions à implanter. En voici les principaux faits saillants.
Consolider l’état civil
De façon générale, les registres d’état civil sont présentement incomplets en Afrique. Plusieurs actes ne sont pas enregistrés localement (naissance, mariage et décès) et les registres municipaux ne sont pas toujours informatisés ni centralisés à l’échelle nationale. Globalement, les pays de l’Afrique francophone accusent un certain retard par rapport aux pays du Maghreb et de l’Afrique anglophone. Une attention particulière a été portée à la situation des enfants n’ayant pas reçu d’identité civile à la naissance, ce qui les empêche de recevoir les services de l’État, comme l’éducation et les soins de santé. Fautes de papiers d’identité, ces « enfants fantômes », comme on les appelle, ne pourront pas s’inscrire sur une liste électorale, ni exercer leur droit de vote.
Plusieurs pistes de solutions et plusieurs expériences nationales fructueuses ont été évoquées afin d’améliorer la qualité des registres d’état civil nationaux. Les participants ont convenu que plusieurs modèles étaient possibles et que chaque pays devait choisir celui qui était en adéquation avec sa culture et son histoire politique.
Les limites de la biométrie
En ce qui a trait aux recensements biométriques, les participants étaient en accord pour affirmer que cela avait contribué à l’amélioration de la qualité des listes électorales, notamment en permettant la détection de plusieurs milliers de doublons et en permettant à de nombreux électeurs de disposer d’une carte d’électeur, qui bien souvent est leur seule pièce d’identité. Cependant, la biométrie n’est pas la panacée qui était anticipée il y a 10 ans. En effet, l’important coût associé aux recensements biométriques, la difficulté d’effectuer des mises à jour dans un contexte de forte croissance démographique et d’un grand nombre de décès non-enregistrés, la dépendance envers de grandes compagnies étrangères et les enjeux liés à la protection des données personnelles biométriques dans des États, parfois militarisés, sont autant de facteurs énoncés qui conduisent les pays à rechercher de nouvelles solutions pour la confection des listes électorales ayant un taux de couverture élevé et étant consensuelle auprès des acteurs politiques.
Vers des registres d’électeurs permanents
Au terme des deux premières journées de l’Atelier technique, il a été possible de dégager un fort consensus sur la nécessité de travailler à la consolidation des registres d’état civil nationaux afin de permettre le développement de registres nationaux des électeurs, qui seraient mis à jour de façon permanente. Cette nouvelle approche permettrait d’augmenter continuellement la qualité des listes électorales, de favoriser le développement et la consolidation des expertises nationales dans la gestion des élections en Afrique, tout en assurant une meilleure protection des données personnelles des citoyens et des électeurs.
La formation offerte par le RECEF lors de la 3e journée de l’Atelier technique a permis d’aborder concrètement le travail à réaliser pour consolider un registre d’état civil et en faire la source principale d’un Registre national des électeurs permanent.
Les résultats et les perspectives
Cet atelier a été salué par tous ses participants. Les objectifs identifiés au départ ont été largement atteints. Cet événement marque peut-être le début d’une nouvelle ère en matière de confection des listes électorales en Afrique : celle du Registre national des électeurs permanent. La tâche à réaliser est importante et elle demandera de la volonté politique et du temps avant d’être réalisée. La fin des recensements biométriques n’est pas pour demain, mais les responsables de la gestion des élections ont désormais de nouveaux outils pour accomplir leurs tâches.
Les quatre partenaires à l’initiative de l’Atelier technique ont convenu de poursuivre leurs efforts concertés pour accompagner des premiers pays dans la consolidation de leur registre d’état civil et dans la constitution et l’entretien d’un Registre national des électeurs permanent.